Les secteurs routiers et aériens ne contribuent pas suffisamment à la décarbonation du pays

Les secteurs routiers et aériens ne contribuent pas suffisamment à la décarbonation du pays

Erwan Caro, consultant mobilité, décrit l’évolution des émissions de transport en France depuis 1990, en zoomant sur les sous-secteurs mais aussi en distinguant fret et mobilité des personnes

Pour une approche plus réaliste de notre impact climatique 

Nous voyons que depuis 2005, notre impact climatique territorial est en baisse. À contrario, la contribution du secteur des transports est en augmentation : elle passe de 156 Mt CO2eq soit 26 % du total en 1991 à 167 Mt CO2eq soit 40 % du total en 2023.

Premier enseignement : dans une France qui se décarbone, le secteur du transport ne suit pas le mouvement.

Si l’on décompose le secteur du transport (sans différentier fret et mobilité des personnes pour le moment) :

L’aérien a connu une forte croissance de son impact, que ce soit en valeur absolue (de 26 MtCO2eq en 1991 à 41 MtCO2eq en 2023) et aussi en relatif. Ce n’est pas surprenant avec un triplement des tonnes kilomètres transportées (passagers et fret) entre 1997 et 2023. Le sous-secteur aérien atteint désormais 10 % du réchauffement créé par notre territoire, ce qui est loin d’être négligeable. En 2023, c’est plus que l’industrie de l’énergie par exemple.

Le routier quant à lui reste stable (119 MtCO2eq en 2023 comme en 2011) ce qui signifie que les gains liés à l’efficacité des véhicules (amélioration des moteurs, début d’électrification) sont annulés par l’augmentation des kilométrages réalisés (nous avons étendu le réseau routier et nous continuons à le faire) et par une demande de transport plus forte. La mode des SUV n’aide pas. De façon similaire à l’aérien, dans une France qui se décarbone, la part du secteur routier augmente pour atteindre 29 % en 2023. Les aides publiques incitatives vers les véhicules « propres » ont sans doute freiné un peu l’augmentation des émissions, mais ne sont manifestement pas à l’échelle par rapport à la stratégie nationale bas carbone.

Le ferroviaire et la navigation contribuent peu au total national et suivent la décarbonation de nos émissions.

Le fret et la mobilité des personnes au sein du secteur du transport.

Le transport inclut le fret et la mobilité des personnes. Mais comment déterminer la proportion des émissions pour ces deux activités de transport ?

Le Citepa dissocie les émissions par mode de transport. Pour affiner les données, il faut cependant un petit peu ruser, ou faire quelques choix, simplement par manque de données.

Ainsi on attribue toutes les émissions de la navigation au fret (bien qu’il y ait des passagers) et toutes les émissions du ferroviaire à la mobilité (bien qu’il y ait des trains de fret). Ces deux sous-secteurs sont les deux plus petits et cela n’influe pas considérablement le résultat.

Pour les camions, c’est facile, ce sera du fret. Pour les voitures et les cars, pas de question à se poser, on associe leurs émissions à la mobilité.

Pour les véhicules utilitaires légers (les camionnettes), elles sont utilisées bien sûr pour transporter du fret, mais souvent stationnées la nuit au domicile du conducteur et utilisées à titre personnel. Aurélien Bigo dans sa thèse[3] fait l’hypothèse que  60 % des trafics sont pour un motif de mobilité. Nous reprenons cette hypothèse.

Enfin, pour le fret aérien, il existe des avions spécialisés, mais une partie du fret est transportée sur des avions de ligne pour passagers. Il existe une manière de dissocier mobilité des personnes et fret, c’est de réfléchir en Tonnes Kilomètres Transportées de fret et en Tonnes Kilomètres Transportées de voyageurs. Pour le fret, on trouve directement l’information dans le bulletin statistique du trafic aérien commercial de la Direction Générale de l’Aviation Civile. Pour les passagers, cela se calcule ! Le même bulletin fournit en effet les kilomètres parcourus par les voyageurs, et l’agence européenne pour la sécurité aérienne (EASA) fournit leur poids moyen avec bagages, qui est de 84 kg. On arrive ainsi à connaitre le poids de fret et le poids de voyageurs transportés par kilomètre, et de leur réaffecter proportionnellement les émissions du fret aérien et celles de la mobilité aérienne.

Deuxième enseignement : au sein du transport, la mobilité représente environ deux tiers de l’impact, et le fret un tiers.

Ce ratio est à peu près constant (il varie entre 65 % et 69 % sur la trentaine d’années étudiées).

Si on regarde plus en détail, le secteur du fret se décarbone légèrement (de 54 à 50 MtCO2eq entre 1991 et 2023), mais moins vite que le reste du pays. La mobilité quant à elle voit croître son impact climatique (passant de 102 à 117 MtCO2eq entre 1991 et 2023).

Evolution fret et mobilité dans les transports en France. Traitement fresque de la mobilité
Évolution de l’impact climatique territorial et des secteurs du fret et de la mobilité des personnes depuis 1990. Émissions de CO2eq (million de tonnes de CO2eq/an). Source Citepa rapport Secten 2024 sur données 2023, périmètre métropole et outre-mer inclus, incluant les flux internationaux et les effets hors CO2. Retraitement par la fresque de la mobilité.
Au sein de la mobilité des personnes

Si l’on zoome maintenant sur la mobilité des personnes, voici les parts de chaque sous-secteur.

Il n’y a pas de surprise, le routier est bien prépondérant et l’aérien représente maintenant plus du quart de la contribution de la mobilité des personnes au réchauffement climatique.

En conclusion

Alors que le pays se décarbone (mais pas assez vite selon le Haut Conseil pour le Climat), nous voyons que la mobilité n’apporte pas sa pierre à l’ouvrage. Bien au contraire, sa contribution relative augmente fortement.

Un premier pas consiste à regarder les faits avec lucidité, sans escamoter la réalité.

Il est impossible que des acteurs se mettent en mouvement si leur contribution est minorée.

Il est impossible que la société les incite à le faire si leur impact reste invisibilisé.

Dans notre pays où l’accord de Paris a été signé, et au moment où le dérèglement climatique commence à bousculer dramatiquement nos sociétés, le lien doit être fait entre nos comportements de mobilité et leurs conséquences.

La forte exposition de la France aux flux de transport internationaux est un risque qui n’est pas encore pris en compte à sa juste valeur par les acteurs des filières concernées, par exemple le secteur touristique. A contrario, des efforts réalisés par ces filières seraient actuellement masqués par notre comptabilité carbone nationale, basée sur l’accord de Paris.

La fresque de la mobilité, avec ses éditions grand public, entreprises et collectivités, est un outil permettant d’engager la conversation entre parties prenantes, sur des données factuelles. Notre atelier ne vient pas pointer du doigt qui que ce soit, mais permet d’imaginer des solutions, élaborer des trajectoires, se mettre en mouvement. Il est grand temps.

 

[1] Selon l’étude D.S. Lee, et al, citée par le GIEC dans son rapport AR6.

[2] Voir référence UNWTO ci-dessous. Par ailleurs, notre pays produit son électricité de manière très décarbonée ce qui mécaniquement remonte la part des autres secteurs dont le transport et l’aérien.

[3] Thèse Les transports face au défi de la transition énergétique

Sources
  • Agence Européenne pour la Sécurité Aérienne : Review of Standard Passengers Weight, 2022 (lien)
  • Atmospheric Environment. D.S. Lee, et al, The contribution of global aviation to anthropogenic climate forcing for 2000 to 2018, Atmospheric Environment, Volume 244, 2021. (lien)
  • Aurélien Bigo. Thèse Les transports face au défi de la transition énergétique (lien)
  • Citepa, 2024. Rapport Secten – Emissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques 1990-2023 (lien)
  • DGAC, Bulletin Statistique du trafic aérien commercial (lien)
  • GIEC : Jaramillo, P., S. Kahn Ribeiro, P. Newman, S. Dhar, O.E. Diemuodeke, T. Kajino, D.S. Lee, S.B. Nugroho, X. Ou, A. Hammer Strømman, J. Whitehead, 2022: Transport. In IPCC, 2022: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [P.R. Shukla, J. Skea, R. Slade, A. Al Khourdajie, R. van Diemen, D. McCollum, M. Pathak, S. Some, P. Vyas, R. Fradera, M. Belkacemi, A. Hasija, G. Lisboa, S. Luz, J. Malley, (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA. doi: 10.1017/9781009157926.012 (lien)
  • Haut Conseil pour le Climat – Rapport annuel 2024 (lien)
  • UNWTO – Organisation mondiale du tourisme (lien). Onglet Ranking, puis cliquer sur Tourist Arrivals et enfin dans le tableau sur « Tourist Arrivals ranking » pour trier.

 

Idée et rédaction : Erwan Caro

 

Un grand merci à Aurélien Bigo pour les explications sur le calcul fret / mobilité au sein du secteur des transports.

Crédit photo : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Vue_N7_aerogare_Orly_Sud_et_tour.jpg – PierreAeroport~commonswiki