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Véhicules autonomes : quel impact sur la mobilité ?

Il fut un temps pas si lointain où l’automatisation de la conduite était présentée comme l’avenir de la mobilité. Le sujet est depuis quelque peu passé en arrière-plan, en partie rattrapé par des promesses un poil trop ambitieuses pour utiliser un euphémisme, mais aussi pour laisser la place à une électrification un peu plus urgente. Néanmoins, certains ont persisté et continuent de (ou commencent à) déployer petit à petit des taxis automatisés dans quelques villes étatsuniennes. Pour autant, il reste difficile d’appréhender l’ampleur des changements qu’impliquerait une adoption massive des véhicules autonomes. Petit tour d’horizon des bénéficies, risques et effets rebonds d’une technologie phare de la mobilité.

Un véhicule automatisé de Waymo à une intersection
Photo de Hoseung Han sur Unsplash

Tout d’abord, il est bon de rappeler ce qu’on entend par automatisation. Il n’est pas question ici d’aides à la conduite, comme on peut en trouver dans les voitures commercialisées, mais bien de véhicules capables de se déplacer tout seuls, potentiellement sans personne à bord, sur des trajets ou périmètres donnés (avec des restrictions géographiques ou météorologiques, par exemple).

Comment ça fonctionne en pratique ?

Le principe (théorique) est simple : le véhicule automatisé est équipé de capteurs (caméras, lasers, etc.) qui servent à acquérir des informations sur ce qui se passe dans son voisinage. À partir des données collectées, des algorithmes vont repérer les éléments importants, par exemple : y a-t-il des piétons ? où sont-ils situés ? comment se déplacent-ils ? vont-ils traverser devant moi ? etc. Les résultats sont très souvent couplés à des cartes détaillées de l’environnement, construites au préalable, qui permettent de connaître par avance les objets fixes (bâtiments, routes, poteaux, mobilier urbain, etc.). Une fois toutes ces informations obtenues, croisées, et vérifiées, elles sont utilisées par le système décisionnaire de la voiture pour choisir les manœuvres et comportements les plus appropriés. Ces derniers sont ensuite traduits en instructions d’accélération, de freinage et d’angle volant pour la voiture. Le processus est répété en continu, plusieurs fois par seconde, en tâchant de s’appuyer sur ce qui avait été compris les instants d’avant.

On pourrait s’attarder sur la faisabilité technique ou économique d’une mise en œuvre à très large échelle un peu partout dans le monde, mais il est tout aussi crucial de s’interroger sur les bouleversements environnementaux, sociaux ou encore d’organisation urbaine que cela pourrait entraîner si, d’aventure, l’avènement des voitures sans conducteur devait arriver.

Bénéfices potentiels

Commençons par les bénéfices régulièrement mis en avant, à savoir : réduction du nombre d’accidents, meilleure efficacité énergétique, fluidification du trafic (et donc diminution des temps de trajet et des émissions de gaz à effet de serre), accessibilité pour les personnes ne pouvant pas conduire, le tout en récupérant le temps auparavant consacré à tourner le volant et appuyer sur les pédales. Bref, autant de caractéristiques que l’on peut également retrouver dans les transports en commun, mais en conservant l’avantage de la disponibilité de l’automobile à un coût théorique plus faible qu’un bus puisque sans chauffeur à rémunérer.

Chaque point pourrait être discuté en long, en large et en travers, puisqu’il ne s’agit, à ce stade, que de bénéfices sur le papier. Pour ne donner qu’un exemple utile à la compréhension, le temps de trajet pour une même course entre un taxi classique et un véhicule autonome de Waymo, la filiale d’Alphabet/Google qui travaille sur le sujet depuis 2009 avec des moyens considérables, varie du simple au double, ce qui risque de ne pas jouer en la faveur d’une baisse des émissions de gaz à effet de serre. Bien sûr, cela ne veut pas dire que ce n’est pas améliorable, mais cela montre à quel point arriver à des effets positifs indiscutables n’est pas si simple.

Beaucoup d’études scientifiques projettent néanmoins des réductions d’émissions significatives dès lors que des véhicules autonomes et connectés sont intégrés dans des simulations de trafic [1, 2]. Le gain provient à la fois de l’usage scrupuleux de l’écoconduite, de l’optimisation possible dans le franchissement de certaines intersections grâce à la connectivité, de l’écoroutage dynamique (c’est-à-dire une redistribution des voitures suivant la circulation pour la fluidifier), de l’harmonisation des vitesses (encore par de la coopération entre véhicules), voire de la conduite en convoi.

Limites des études

Les résultats reposent sur de nombreuses hypothèses quant à la manière d’opérer du véhicule autonome et particulièrement sur un taux de pénétration élevé de ceux-ci (les systèmes collaboratifs listés précédemment s’appuient, en grande partie, là-dessus pour être efficaces). Dans le cas d’un trafic mixte entre voitures classiques et automatiques, l’effet sur la circulation est moins évident et peut tout autant être bénéfique qu’aggravant en fonction de la modélisation, de ses paramètres et de la ville testée [3, 4].

Il est aussi important de mentionner que ces analyses sont souvent circonscrites à un périmètre bien identifié pour des raisons simples : cela est déjà bien assez dur de simuler des interactions complexes sans devoir ajouter davantage de variables incertaines. Par exemple, ces études omettent fréquemment les surcoûts liés à la fabrication d’un véhicule équipé de capteurs et d’unités de calcul, tout comme la consommation additionnelle que cela implique (à bord et dans des centres de données distants), et qui n’est a priori pas anecdotique [5].

Effets systémiques

Dans le même ordre d’idée, les effets systémiques sont peu traités, car justement difficiles à anticiper avec précision. Par le terme « systémique », il est entendu tous les changements qui découleraient directement et indirectement de l’arrivée des véhicules autonomes et qui auraient un impact à l’échelle de la société. Parmi les questions que cela soulève, il y a bien évidemment le fait de savoir si cela fait évoluer (et si oui, comment ?) notre rapport à la mobilité. Fluidifier le trafic n’amènerait-il pas les gens à se déplacer davantage dans un effet rebond vieux comme le monde ?

En poussant un peu plus le raisonnement, on peut se demander si cela modifie aussi l’organisation des territoires. Habite-t-on plus loin ou plus près des villes, par exemple ? Et puis, cela interroge sur les répercussions que cela peut avoir d’un point de vue social. Est-ce que cela peut être un facteur réduisant les inégalités sociales ou les exacerbant (et sous quelles conditions) ?

Les réponses à ces questions sont difficiles à trancher tant elles dépendent de nombreux éléments. En premier lieu, la méthode de déploiement des véhicules autonomes est cruciale. Deux modèles sont le plus souvent envisagés : des véhicules autonomes privés ou partagés [6]. Le premier cas revient à remplacer les automobiles actuelles par des versions automatisées où chacun reste le propriétaire et l’utilisateur de sa propre voiture. C’est l’option qui remporte naturellement l’adhésion la plus forte du grand public (et sans doute des constructeurs) pour l’instant [7, 8].

Les études portant sur les conséquences d’un tel scénario montrent généralement une augmentation des émissions de CO2 [6, 9]. La fluidification du trafic attire à la fois des personnes qui n’utilisaient pas de voiture [10, 11] et celles qui n’avaient pas ou plus la possibilité de conduire (mineurs, personnes âgées, etc.). S’ajoutent à cela les trajets s’effectuant à vide (envoyer son automobile se garer en périphérie pendant que l’on est au travail, par exemple). Les analyses ont tendance à montrer qu’un tel glissement draine les modes actifs (marche ou vélo) et les transports en commun.

L’autre effet, indirect, est une propension à l’étalement urbain du fait de ne pas avoir à conduire, ce qui peut permettre, entre autres, de commencer sa journée de travail dans son auto [10, 12-15]. En fin de compte, le plus souvent, les trajets deviennent plus longs et plus nombreux et les habitats plus grands en périphérie sont préférés. Bref, autant de facteurs qui jouent dans une augmentation des émissions de dioxyde de carbone [12].

Une navette autonome seule sur la route

Photo de Daesun Kim sur Unsplash

Vers un usage partagé ?

Un usage partagé des véhicules autonomes paraît donc plus approprié. Cela a l’avantage de potentiellement diminuer la quantité de voitures en circulation (et par conséquent les coûts environnementaux de fabrication) en plus de réduire drastiquement le besoin en stationnement [6, 9]. L’espace récupéré peut permettre de densifier la ville avec pour conséquence une baisse du prix du foncier [12], ce qui, en retour, peut limiter, voire contrer, l’étalement urbain [16, 17].

Pour autant, une offre de voitures partagées a toutes les chances d’augmenter également le nombre de kilomètres parcourus et les temps de trajet pour les exactes mêmes raisons que pour les véhicules privés. Une demande bien supérieure et des déplacements à vide pour passer prendre les utilisateurs sont autant de facteurs pouvant contrecarrer les bénéfices issus du partage des véhicules et de la meilleure fluidité de trafic [9, 18, 19].

La tarification du service devient donc clef en ce sens : un prix trop faible va faire croître la demande et capter les usagers des transports en commun ou des modes actifs. À l’inverse, un coût élevé restreint qui peut recourir un tel système (et le rend par conséquent socialement injuste), service qui a besoin, dans tous les cas, d’une masse critique d’utilisateurs pour être pertinent d’un point de vue environnemental [20].

Impacts sur la santé et les inégalités sociales

Au-delà des impacts écologiques, une dépendance accrue à la voiture au détriment de la marche ou du vélo a des conséquences néfastes sur la santé avec la hausse de sédentarité qu’elle entraîne. Il est aussi bon de noter que le développement de la voiture autonome peut devenir un facteur d’aggravation des inégalités sociales ou de genre. En effet, tous les métiers n’offrent pas des conditions permettant d’exploiter des temps de transport plus longs à des fins productives. Ainsi, les emplois des secteurs primaires et secondaires vont subir davantage un potentiel allongement de la durée des trajets, tout comme les professions de l’aide à la personne, de l’éducation et du soin, principalement occupées par des femmes [13].

L’ensemble des études citées ici reposent sur de nombreuses hypothèses et ont toutes des limites. Modéliser des interactions entre des systèmes macroscopiques complexes à l’échelle d’une agglomération (voire plus) est forcément amené à être imprécis. Cela permet néanmoins d’avoir une idée des effets rebonds que l’on peut attendre du déploiement d’une telle technologie.

Dès lors, la question qui se pose est de savoir dans quelles conditions les véhicules autonomes pourraient avoir des impacts très majoritairement positifs et quel cadre légal favoriserait l’émergence de celles-ci. En y regardant de plus près, il s’agit surtout des zones pour lesquelles le déploiement de transports collectifs est trop coûteux pour être viable et où les autres moyens de transport (vélo, covoiturage, marche, etc.) sont difficiles à mettre en œuvre ou peu adaptés. Cela oriente davantage vers les territoires ruraux et dans un nombre de situations plutôt limité, des alternatives comme les véhicules intermédiaires pouvant être plus faciles à mettre en place sur de courtes distances, par exemple.

Pas sûr qu’un acteur tel que Waymo qui investit des milliards sur le sujet se satisfasse (ou s’y retrouve financièrement, tout simplement) d’un périmètre aussi restreint. C’est un bon rappel qu’il n’y a pas d’urgence à déployer des technologies pas tout à fait au point et dont les effets indirects et systémiques sont encore mal compris. Prenons le temps, au cas par cas, de voir ce que cela peut apporter localement, d’expérimenter et d’en débattre. Une méthode qui a déjà fait ses preuves.

Bibliographie

[1] Ó. Silva, R. Cordera, E. González-González et S. Nogués, « Environmental impacts of autonomous vehicles: A review of the scientific literature », Science of The Total Environment, vol. 830, 2022.

[2] D. Gruyer, O. Orfila, S. Glaser, A. Hedhli, N. Hautière et A. Rakotonirainy, « Are Connected and Automated Vehicles the Silver Bullet for Future Transportation Challenges? Benefits and Weaknesses on Safety, Consumption, and Traffic Congestion », Frontiers in Sustainable Cities, vol. 2, 2021.

[3] K. Mattas, M. Makridis, P. Hallac, M. A. Raposo, C. Thiel, T. Toledo et B. Ciuffo, « Simulating deployment of connectivity and automation on the Antwerp ring road », IET Intelligent Transport Systems, vol. 12, n° 9, 2012.

[4] J. M. Bandeira, E. Macedo, P. Fernandes, M. Rodrigues, M. Andrade et M. C. Coelho, « Potential Pollutant Emission Effects of Connected and Automated Vehicles in a Mixed Traffic Flow Context for Different Road Types », IEEE Open Journal of Intelligent Transportation Systems, vol. 2, 2021.

[5] S. Sudhakar, V. Sze et S. Karaman, « Data Centers on Wheels: Emissions From Computing Onboard Autonomous Vehicles », IEEE Micro, vol. 43, n° 1, 2023.

[6] A. Ribeiro Pimenta, M. Kamruzzaman et G. Currie, « Long-term effects of autonomous vehicles on the built environment: a systematic scoping review towards conceptual frameworks », Transport Reviews, vol. 43, n° 6, 2023.

[7] C. J. Haboucha, R. Ishaq et Y. Shiftan, « User preferences regarding autonomous vehicles », Transportation Research Part C: Emerging Technologies, vol. 78, 2017.

[8] Z. Wadud et P. K. Chintakayala, « To own or not to own – That is the question: The value of owning a (fully automated) vehicle », Transportation Research Part C: Emerging Technologies, vol. 123, 2021.

[9] Y. Kong, J. Ou, L. Chen, F. Yang et B. Yu, « The Environmental Impacts of Automated Vehicles on Parking: A Systematic Review », Sustainability, vol. 15, n° 20, 2023.

[10] A. D. May, S. Shepherd, P. Pfaffenbichler et G. Emberger, « The potential impacts of automated cars on urban transport: An exploratory analysis », Transport Policy, vol. 98, 2020.

[11] L. Luo, J. Portugal-Pereira, K. Takami et G. Parady, « Unintended environmental impacts of private automated vehicles: Insights from Gunma Prefecture, Japan », Transportation Research Part D: Transport and Environment, vol. 134, 2024.

[12] W. Larson et W. Zhao, « Self-driving cars and the city: Effects on sprawl, energy consumption, and housing affordability », Regional Science and Urban Economics, vol. 81, 2020.

[13] M. A. Moore, P. S. Lavieri, F. F. Dias et C. R. Bhat, « On investigating the potential effects of private autonomous vehicle use on home/work relocations and commute times », Transportation Research Part C: Emerging Technologies, vol. 110, 2020.

[14] L. Luo, G. Parady et K. Takami, « Evaluating the impact of automated vehicles on residential location distribution using activity-based accessibility: A case study of Japanese regional areas », Transportation Research Part A: Policy and Practice, vol. 190, 2024.

[15] G. Gelauff, I. Ossokina et C. Teulings, « Spatial and welfare effects of automated driving: Will cities grow, decline or both? », Transportation Research Part A: Policy and Practice, vol. 121, 2019.

[16] W. Zhang et S. Guhathakurta, « Residential Location Choice in the Era of Shared Autonomous Vehicles », Journal of Planning Education and Research, vol. 41, n° 2, 2018.

[17] M. Zhou, D.-T. Le, D. Q. Nguyen-Phuoc, P. C. Zegras et J. Ferreira Jr, « Simulating impacts of Automated Mobility-on-Demand on accessibility and residential relocation », Cities, vol. 118, 2021.

[18] O. Luca, L. Andrei, C. Iacoboaea et F. Gaman, « Unveiling the Hidden Effects of Automated Vehicles on “Do No Significant Harm” Components », Sustainability, vol. 15, 2023.

[19] M. Lu, M. Taiebat, M. Xu et S.-C. Hsu, « Multiagent Spatial Simulation of Autonomous Taxis for Urban Commute: Travel Economics and Environmental Impacts », Journal of Urban Planning and Development, vol. 144, n° 4, 2018.

[20] S. Zhong, A. Liu, Y. Jiang, S. Hu, F. Xiao, H.-J. Huang et Y. Song, « Energy and environmental impacts of shared autonomous vehicles under different pricing strategies », npj Urban Sustainability, vol. 3, 2023.