Interview de Benoît Tholence, Fondateur de Sanka et co-fondateur de l’association Aveli, Animateur de la Fresque de la Mobilité par Célia Corneil.
Bonjour Benoît, tout d’abord, peux-tu te présenter ?
Bonjour, alors j’ai plusieurs casquettes, j’ai presque un Bob on pourrait dire !
Je suis Benoît Tholence et je suis en train de créer une structure qui s’appelle Sanka Cycle. C’est un projet que je mène depuis 3 ans. L’objectif de Sanka Cycle est d’offrir une alternative à la 2e voiture, là où il n’en existe pas ou peu, c’est-à-dire plutôt en dehors des grands centres urbains.
Au sein des espaces urbanisés, il existe déjà des alternatives à la voiture, en particulier à la possession d’une deuxième voiture, c’est pourquoi on se focalise sur les périphéries et les zones peu denses, éventuellement les petites villes. Les personnes-cibles sont celles qui réalisent un trajet d’environ 10 kms ou moins. Notre solution : proposer un véli* sous la forme d’un vélo quadriporteur, qu’on a dénommé « Bob », telle que ça existe déjà dans les normes, mais qui n’existe pas encore sur nos routes.
Ma deuxième casquette est celle de co-fondateur de Aveli, l’association des Acteurs des Véhicules Légers Intermédiaires, qui a pour vocation de représenter cette nouvelle filière naissante en France, et en Europe en général.
* Avant de présenter en détail Aveli, peux-tu nous définir ce qu’est un Véli ?
J’aime définir le Véli de 2 manières :
- Par la technique :un Véli est tout type de véhicule se situant entre la voiture classique et le vélo. Cela intègre des engins de mobilité qui existent déjà :
- Des petites voitures sans permis, des voiturettes de plus en plus électriques comme la Twizy de Renault, l’AMI de Citroën, la Biro. Ce sont des petites voitures en recherche de sobriété : allégées, moins de place, moins de coffre, moins large.
- De l’autre côté du spectre, côté vélo, on a fait l’inverse en agrandissant le modèle de base pour élargir les usages : plus de chargement, plus de place ou plus de stabilité avec une 4e roue par exemple. On va retrouver dans cette catégorie les speed bikes, les vélos- cargos qui demeurent encore « des ovnis » en dehors des grandes villes, …
- Par son objectif : les Vélis sont des véhicules qui proposent une alternative plus légère à la voiture classique. Le Véli a pour objectif de remplacer la voiture, en proposant une mobilité individuelle plus sobre.
C’est donc une catégorie intermédiaire, un peu « fourre-tout », une filière au sein de laquelle il y a actuellement beaucoup d’innovation. L’objectif, c’est de réussir, dans les prochaines années, à cocher la bonne case qui permettra de casser l’hégémonie de la voiture.
Comment est apparue cette mouvance du Véli, quelle est la genèse de ces « ovnis » ?
Alors, il me semble que le tout premier à avoir évoqué le véhicule intermédiaire était Francisco Luciano au sein d’un rapport du Shift Project qui s’appelait Décarboner la mobilité dans les zones de moyenne densité, en sept.2017. Il y a aussi eu les travaux de recherche précurseurs de Frédéric Héran qui a essayé de catégoriser et d’expliquer cette dynamique. Ensuite, Aurélien Bigo popularise le terme et Jean-Marc Jancovici le relaie.
Du côté des pouvoirs publics, la reconnaissance vient de l’ADEME, avec le concours de l’eXtrême Défi, un programme d’accompagnement innovant qui corrèle financement, entraide, différents appels à projets, création d’un écosystème (fabricants, collectivités, …). L’eXtrême Défi a débuté en 2022, avec un cycle d’appel à projets sur l’idéation, puis le prototypage, et qui va se poursuivre en 2024 sur le pan industrialisation. Ce cycle va se répéter plusieurs fois avec l’objectif d’engager un maximum d’acteurs dans le développement de nouveaux véhicules légers, simples et peu onéreux.
Comment est née l’association Aveli ?
Il y avait déjà des groupes de discussions informelles, l’eXtrême Défi a permis de mieux se connaître et, milieu 2023, le sujet a été relancé, avec pour objectif de faire reconnaître les Velis et l’écosystème qui les entoure, d’être plus visible et de peser sur les décisions qui touchent la filière, notamment auprès des instances nationales.
Sur le site d’Aveli, on peut voir que votre mot d’ordre est « les acteurs des Vélis sont réunis par leur volonté commune d’œuvrer à la généralisation d’une mobilité quotidienne des personnes et des marchandises plus respectueuses de notre santé, de notre environnement et compatible avec la neutralité carbone à 2050. » Comment les Vélis peuvent-ils faire bouger les lignes sur la question de la mobilité des marchandises, de la logistique ?
Avec l’avènement des ZFE, les camions ne seront plus les bienvenus dans une vingtaine de centres urbains. Il existe déjà des offres de petits véhicules type fourgon, fourgonnette mais l’objectif des Vélis est d’enrichir cette offre avec des véhicules agiles et peu polluants. L’objectif est bien d’élargir autant que possible l’offre de véhicules existants. Par exemple, les gros vélos à quatre roues existent beaucoup en Allemagne mais peu en France.
Pour toi, quels sont les apports du Veli à cet objectif de neutralité carbone à horizon 2050 ?
L’enjeu n’est pas juste d’électrifier un parc automobile en France, mais comme le dit Aurélien Bigo « la voiture électrique est l’avenir de la voiture mais la voiture n’est pas l’avenir de la mobilité ».
Il faut donc de manière simultanée développer des véhicules plus légers ET repenser les usages de la voiture (questionner la propriété des véhicules, l’autosolisme, …). En faisant cela, on en vient à penser des modèles économiques différents.
Chez Sanka Cycle par exemple, nous avons décidé de proposer exclusivement notre Bob en Location Longue Durée (LLD), afin que la barrière à l’entrée soit la plus faible possible. Louer un véhicule innovant apparaît une option plausible pour beaucoup de personnes. A l’inverse, acheter un véhicule aux alentours de 12 000 €, cela paraît tout de suite beaucoup plus compliqué.
Ensuite, l’objectif des Vélis est de maintenir notre capacité de déplacement en diminuant les ressources utilisées et les émissions de GES. Pour donner des ordres de grandeur, on peut regarder la capacité des batteries :
- Un gros vélo cargo : 2kWh maximum
- Un Véli : entre 5 et 15 KWh
- La Zoé : 52 kWh
Cela montre que même l’une des plus petites voitures électriques est toujours trop grosse.
Selon toi, quels sont les défis majeurs de la filière ?
Il n’y en aura pas ! (Rires)
Je ne les cite pas forcément dans l’ordre d’importance, selon moi il y aura :
- Un défi de reconnaissance, notamment au niveau des instances publiques. Il faut absolument connaître les Vélis pour pouvoir se projeter dans l’usage de ces véhicules.
Je donne un exemple : j’ai échangé récemment avec un agent d’une collectivité locale, qui était en charge de la redistribution des aides à l’achat de véhicules. Cette personne réfléchissait à la mise en place d’une aide à l’achat sur les Vélis. Sa première crainte était de financer des quads. Puis, sa deuxième réflexion a été de dire que les Vélis « ne peuvent pas remplacer la voiture car on ne peut pas aller sur l’autoroute avec ». Ça montre une méconnaissance des besoins et des usages quotidiens d’un véhicule (a-t-on massivement besoin d’aller sur l’autoroute au quotidien ?).
Il faut changer le paradigme et faire reconnaître auprès du plus grand nombre qu’une voiture n’est pas toujours nécessaire au quotidien. - Un défi règlementaire, qui rejoint le défi de reconnaissance, au niveau des instances nationales cette fois-ci. Aujourd’hui, les cycles à 4 roues ne sont pas autorisés sur les pistes cyclables. L’homologation des Vélis entre dans la catégorie L, qui comprend tout un tas de véhicules avec une dizaine de catégories, allant du quad, aux motos à trois roues jusqu’aux voitures sans permis. Cette homologation est définie en fonction de la vitesse des véhicules, du poids, du permis, du nombre de roues… Ces catégories ne correspondent pas aux usages pour remplacer la voiture. Au niveau européen, il existe des bridages sur les motorisations en fonction du véhicule. Il faut alléger la règlementation pour les véhicules légers et arrêter de dérouler le tapis rouge à la voiture.
- Un défi de financement : Par définition, un projet de nouveau véhicule est un projet industriel. Aujourd’hui, il est très difficile de financer ce genre de projet car ils nécessitent une grosse mise de départ et un retour sur investissement assez lent. N’importe quel investisseur privé préfèrera moins prendre de risque et financer une entreprise numérique. Or on le sait, même si certaines entreprises du numérique améliorent notre façon de nous déplacer (on pourrait donner l’exemple de BlaBlaCar sur le covoiturage ou de Getaround pour l’autopartage entre particulier), on sait que ça ne suffira pas. Nous avons besoin de candidats réels à la voiture individuelle. Et pour ça, il faut être capable de faire des paris sur l’avenir et de financer le temps long, car industrialiser un nouveau véhicule, même un gros vélo, ça prend du temps !
Heureusement, des fonds d’investissements privés commencent à le comprendre ! - Un défi industriel : On a besoin d’industrialiser le processus de déploiement du Véli. Cependant, on n’a pas forcément besoin des constructeurs automobiles tels qu’on les connait aujourd’hui, avec un raisonnement porté sur le bénéfice au détriment de l’impact. D’ailleurs, les équipementiers automobiles qui s’intéressent au vélo ou au Véli, le font car cela devient stratégique pour eux, et ils produisent des engins qui ressemblent plutôt à des voitures (l’AMI, la Twizy, le Kleuster un gros vélo cargo de livraison, …). Je ne pense pas qu’il faille craindre un positionnement de ces acteurs sur le Véli, au contraire, il faut les voir comme des alliés dans la démocratisation des Vélis. Par exemple, quand Decathlon s’est mis à faire un vélo de ville et des longtail, cela a certes tiré le marché vers le bas (en termes de prix et aussi en termes de qualité), mais cela a eu un effet de démocratisation hors norme. Et il y aura toujours des personnes intéressées pour acheter autre chose que Decathlon. Il faut donc tirer le meilleur de l’industrie automobile pour faire évoluer le produit Véli et le rendre accessible et ainsi réellement challenger la voiture.
Dernière question, comment abordes-tu les Vélis au sein de la Fresque de la Mobilité ?
La Fresque apporte des leviers d’actions pour agir dès maintenant, et le Véli n’est pas encore une réalité. Dans le cadre de l’eXtrême Défi, nous avons animé des fresques adaptées au programme, avec une carte vélo cargo et une carte micro-voiture, dans les cartes des leviers individuels. Il y avait aussi une carte supplémentaire pour la Fresque à destination des collectivités, toujours dans le cadre de l’eXtrême Défi, sur « rendre l’avènement des véhicules intermédiaires possibles » : leur donner une place pour le stationnement, l’usage de voie cyclable, …Ce test avec l’ADEME avait vocation à être élargi à une future version de la Fresque des Mobilités, notamment dans les profils, à garder en tête pour l’avenir 😉