Insécurité routière et violences motorisées, ouvrons les yeux !
Clémence Langloys, conseillère mobilité vélo, revient sur le choc qu’a été le meurtre de Paul Varry dans le contexte plus général de l’insécurité routière et de la violence envers les piétons et les cyclistes.
Les « violences motorisées” :
une des composantes de l’insécurité routière
La mort de Paul Varry, cycliste de 27 ans écrasé volontairement par un conducteur qui circulait en SUV sur la piste cyclable, a suscité une grande vague d’émotions et d’indignation, au moment même où le plan vélo 2023-2027 était abandonné (cf article Au revoir Plan vélo… Bonjour cars express ?)
La question des “violences motorisées” est apparue au grand jour comme une des composantes de l’insécurité routière.
Une pétition et un appel à témoignages intitulés « Stop violences motorisées » ont été lancés par la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB). La pétition, qui sera adressée au Premier ministre, a rassemblé à ce jour plus de 16000 signataires et des milliers de témoignages.
Le ministre délégué chargé des transports, Francois Durovray, a créé une mission « contre les violences, protéger tous les usagers de la route » confiée à Emmanuel Barbe, ancien préfet et magistrat et ancien Délégué interministériel à la Sécurité routière.
Elle se déroulera sur une période de quatre mois et s’appuiera sur une consultation approfondie des différents acteurs concernés (collectivités territoriales, gestionnaires de voiries, associations d’usagers de la route, notamment les cyclistes et les piétons). . Elle concernera :
– l’éducation routière tout au long de la vie ;
– la prévention et la communication sur la règle et le partage de la route ;
– l’amélioration continue des aménagements et des signalisations ;
– la détection et la constatation à l’encontre des comportements violents sur la route. [1]
Les accidents de la route sont responsables de plus de 3000 décès par an et 240 000 blessés (dont 16 000 blessés graves) [2].
En 2023, 439 piétons et 221 cyclistes sont morts sur la route. Lorsque piétons ou cyclistes meurent dans un accident avec un tiers, dans 72 % des cas, ce tiers conduit une voiture ou un véhicule utilitaire.
Malgré les progrès de la politique de sécurité routière depuis 50 ans, le bilan humain reste très lourd. Or nous sous-estimons cet impact lié à nos déplacements. C’est le concept de “motonormativité” forgé par les chercheurs en psychologie Ian Walker, Alan Tapp et Adrian Davis pour désigner les biais culturels et inconscients qui façonnent notre vision des impacts de la voiture.
Leur hypothèse soumise à enquête : à force de considérer la voiture comme incontournable, ses impacts sur la santé sont minimisés. [3]
Les violences motorisées font l’objet de très peu de données chiffrées, notamment parce que les plaintes sont aujourd’hui peu ou mal recueillies et que les comportements violents ne sont pas systématiquement sanctionnés.
Dépasser l’incantation du “partage de la route”
Les efforts de sensibilisation se concentrent notamment sur l’éducation en milieu scolaire, par exemple l’éducation des enfants à la mobilité à vélo dans le cadre du dispositif “Savoir rouler à vélo”.
Les chiffres de la Sécurité routière et la prise de parole des victimes de “violences motorisées” montrent que les actions doivent aussi cibler les personnes qui se déplacent avec des véhicules motorisés (une des propositions de la FUB : développer la formation continue des automobilistes), mais également que l’Etat et les collectivités doivent se donner les moyens d’atteindre l’objectif « zéro mort et zéro blessé grave » comme à Oslo en Norvège [4]. Voir à ce sujet la campagne australienne “There is no one someone won’t miss”.
En 2023, 83 % des personnes présumées responsables d’accidents mortels, et 77,6 % des morts sur la route, étaient des hommes. “Les hommes représentent au moins les trois quarts des tués sur la route, dans tous les pays du monde, même ceux qui œuvrent le plus pour l’égalité entre les sexes. Ces constats valent indépendamment du kilométrage parcouru. En France, les hommes roulent en moyenne 11 000 kilomètres par an, et les femmes 10 000, mais ils constituent 83 % des présumés responsables d’accidents” indique Marie-Axelle Granié, directrice de recherche en psychologie sociale du développement à l’université Gustave-Eiffel et directrice du laboratoire Modis (Mobilité durable, individu, société).[5]
Un reportage récent d’Envoyé spécial “La voiture nous rend-elle fous?” [6] met en avant la nécessité de prendre conscience de notre comportement au volant et d’accepter la cohabitation sur les routes, en interviewant notamment des chercheurs en psychologie et psychologie cognitive.
SUV, symptôme de notre sur-consommation de voiture
Le décès de Paul Varry a aussi réactivé le débat sur l’interdiction des SUV.
Le 19 novembre, le Conseil de Paris a adopté un vœu prévoyant de solliciter l’État « pour interdire la circulation » de ces véhicules lourds en ville. [7]
Les accidents impliquant un SUV « sont statistiquement plus souvent mortels pour les usagers vulnérables qu’ils percutent », selon le bilan 2023 de la Sécurité routière [8] qui s’appuie sur les données d’une étude menée par le Centre d’études et d’expertise sur les risques (Cerema).
Les SUV occupent plus d’espace, génèrent plus d’émissions CO2 à la fabrication et utilisation, représentent un danger en termes de sécurité routière pour les usagers vulnérables (piétons, cyclistes, EDPM). [9]
Alors, faut-il les interdire ? Quelle hiérarchie entre liberté du commerce, liberté de se déplacer en SUV, liberté de se déplacer tout court ?
Comment réorienter notre usage de la voiture ?
Pour Jean-Marc Jancovici, la voiture électrique idéale est “plus petite et moins nombreuse”.
“Plus petite”
Les efforts de l’Etat et des entreprises pour réorienter nos achats vers des véhicules plus légers ne sont pas encore à la hauteur des enjeux.
Les initiatives en faveur des véhicules intermédiaires/vélis (du vélo à la voiture) devraient faire l’objet d’une publicité plus large, et prendre l’espace dévolu à la publicité sur des voitures toujours plus grosses et plus lourdes.
“Moins nombreuse”
Favoriser la marche, l’usage du vélo, des transports en commun, des mobilités partagées…
Le “partage la route” n’est possible qu’à condition de rééquilibrer la voirie au profit des différents modes alternatifs à la voiture individuelle.
Le bilan de la sécurité routière 2024 fera certainement apparaître de nouvelles données relatives aux “violences motorisées”. Les travaux de la mission lancée par le ministère des transports seront suivis de près, notamment par les associations de promotion de l’usage du vélo.
Personne ne devrait perdre la vie ou se retrouver gravement blessé parce qu’il se déplace à pied, à vélo ou en voiture. Si ce seul argument ne rencontre pas l’écho suffisant, peut-être faut-il insister sur le coût de l’insécurité routière pour la société, estimé entre 52 et 100 milliards d’euros par an (selon le périmètre pris en compte). Le coût pour les familles n’est quant à lui pas chiffrable.
Sources :
[2] Donnée France métropolitaine et outre-mer.
[3] Nous sous-estimons les effets négatifs de la voiture sur la santé | Recherche | Cnam
[4] Après la mort d’un cycliste à Paris, la question des violences routières émerge dans le débat public
[6] La voiture nous rend-elle fous ? Envoyé spécial
[7] « Les automobilistes tuent » : Paris interpelle le gouvernement et fait un pas de plus vers l’interdiction des SUV – Le Parisien
[8] La sécurité routière en France, Bilan de l’accidentalité 2023, Observatoire national interministériel de la sécurité routière
[9] Plus un SUV est gros, plus le risque de mort en cas d’accident avec un piéton est grand – Libération
[10] Voitures, Aurélien Bigo, Fake or not, Tana éditions 2023
Credits photo Freepik – violence routière