RAPPORT DU HAUT CONSEIL POUR LE CLIMAT
« Acter l’urgence, engager les moyens » : la décarbonation des transports n’est pas en avance d’après le Haut Conseil pour le Climat
En juin dernier, le Haut Conseil pour le Climat (HCC), organisme indépendant chargé d’évaluer l’action publique en matière de climat, a rendu son rapport annuel intitulé « Acter l’urgence, engager les moyens ». Ce dernier permet de mettre en regard les derniers chiffres fournis par la Citepa sur les émissions de gaz à effet de serre en France en 2022, l’influence des politiques publiques sur leur évolution et l’adéquation avec la stratégie nationale sur le sujet.
Les facteurs conjecturels à la rescousse des émissions françaises
Tout d’abord, un constat à l’échelle planétaire : les politiques actuelles, si elles ne sont pas renforcées, pourraient aboutir à un réchauffement de la planète estimé à 3,2°C d’ici à 2100. En France, l’année 2022 est jugée « exceptionnellement chaude » (+2,9°C par rapport à 1900-1930) et sèche avec un déficit de précipitations de l’ordre de 25 % par rapport à la période 1991-2020.
Pour autant, les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont bien diminué en France en 2022. L’estimation faite avec les données provisoires de 2022 renseigne une baisse de 2,7 % des émissions de GES par rapport à 2021. Néanmoins, l’analyse proposée par le HCC permet de relativiser ces chiffres et surtout de questionner la pérennité de ces diminutions dans le temps. Les baisses ont en effet été guidées par des réductions importantes dans les secteurs du bâtiment et de l’industrie en partie liées à des « facteurs conjoncturels », à savoir un hiver doux (qui réduit les besoins de chauffage), des prix de l’énergie élevés (qui réduisent son usage) et le plan de sobriété du Gouvernement en réponse aux difficultés d’approvisionnement suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Le HCC met en garde sur l’alignement à venir avec la législation européenne Fit for 55 qui vise une diminution des émissions de GES de 55 % en Europe d’ici à 2030, là où l’objectif actuel français est de 40 % à ce même horizon. Dans ce cadre-là, le rythme de baisse des émissions de GES devra quasiment doubler par rapport au niveau actuel. Enfin, l’ensemble de ces données ne concernent que les émissions territoriales sur lesquelles les actions publiques se focalisent, mais n’intègrent pas celles provenant des importations. Or, la France importe la moitié (51 %) de son empreinte totale : un peu plus de 300 Mt éqCO2 par an, de manière presque stable depuis 2010.
Rebond post-Covid-19 pour les transports
Concernant les transports, le secteur poursuit son rebond post-Covid-19 et voit ses émissions de GES augmenter de 2,3 % par rapport à 2021 (+2,9 Mt éqCO2), mais celles-ci restent très légèrement inférieures au niveau de 2019. Cette hausse est principalement guidée par les véhicules particuliers (+1,8 Mt éqCO2) et le transport aérien national (+0,9 Mt éqCO2). Le secteur des transports respecte son objectif carbone 2019-2022 de peu, en très grande partie à cause des effets des confinements et donc sans pouvoir conclure sur l’efficacité des politiques mises en œuvre. Dans tous les cas, afin de suivre la trajectoire européenne Fit for 55, le rythme de diminution des émissions du secteur des transports devra être multiplié par un facteur allant de 3,5 à 5 d’après le HCC.
L’analyse plus détaillée du HCC fait apparaître quelques constats bien connus des fresqueurs de la mobilité : les véhicules particuliers, qui représentent plus de la moitié des émissions du secteur, voient leurs émissions baisser, mais de façon insuffisante avec les objectifs visés, et ce malgré une électrification en ligne avec la SNBC 2 (13 % des véhicules neufs vendus en 2022). En cause, la consommation des véhicules thermiques qui, elle, augmente entre 2015 et 2019, l’essor des SUV étant un contributeur majeur à cet aspect. Autre point marquant : du côté du ferroviaire, le HCC analyse que l’augmentation du trafic de passagers est pour l’instant trois fois inférieure aux prévisions de la SNBC 2 sur la période 2015-2030. Un report qui se fait, en grande partie, vers des modes plus carbonés.
Accélérer vers une mobilité plus sobre
Au-delà de ces constats, le HCC dresse également une liste de recommandations pour le transport de personnes. Les quelques points clefs suivants sont abordés :
– Accélérer électrification, tout en favorisant les véhicules légers et moins chers (les prix des véhicules neufs ont largement augmenté depuis plus de dix ans). Plusieurs pistes sont évoquées pour ce faire : une évolution du système de bonus-malus, la refonte du barème des indemnités kilométriques (qui favorise les motorisations importantes), la mise en place d’alternatives comme le forfait mobilités durables ou encore l’interdiction de la pub pour les SUV.
– Accélérer le déploiement de services de mobilités (leasing, alternatives modales, quotas pour les professionnels, etc.).
– Accélérer la régénération des petites lignes ferroviaires, des trains de nuit, et l’électrification complète des lignes tout en assurant la qualité des services.
– Maîtriser la demande de l’aviation intérieure et renforcer la mise en cohérence avec la stratégie tourisme durable.
Parmi les angles morts pointés par le HCC, la question de l’accompagnement des métiers amenés à évoluer est très peu traitée alors que cruciale dans la transition vers des transports moins émetteurs. De même, les évolutions des centres urbains pour s’adapter à des transports faiblement émetteurs sont encore peu abordées. Enfin, la gestion de la demande est un levier très peu activé par le gouvernement, hormis pour certaines actions ponctuelles comme l’interdiction de quelques vols intérieurs ou la mise en place des Zones à Faible Émission (ZFE).
D’ailleurs, concernant les ZFE, le HCC indique que 38 % des ménages les plus pauvres ont un véhicule classé Crit’Air 4 ou plus (dont l’accès en ville est restreint dès maintenant ou d’ici 2024) contre 10 % parmi les ménages les plus aisés. D’où l’intérêt d’offrir des alternatives modales adaptées (transports en commun ou mobilités actives) et de rendre les véhicules électriques abordables, et donc aussi plus légers. La boucle est bouclée.