Avion & Climat : les derniers chiffres pour la France : accrochez vos ceintures !
Erwan Caro, consultant mobilité, nous décortique le dernier rapport du Haut Conseil pour le Climat. Attention, les résultats sont surprenants, accrochez vos ceintures !
Le secteur des transports représente désormais 34 % des émissions de GES
Le dernier rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat indique que le secteur des transports (le fret et la mobilité des personnes) représente désormais 34 % des émissions nationales. Ce chiffre est déterminé par l’inventaire du Citepa, une formidable association qui recense de manière très rigoureuse et indépendante les émissions de polluants et de gaz à effet de serre en France.
Le chiffre de 34 % est à comparer avec les années précédentes, où il oscillait entre 29 % et 33 %.
Comment expliquer cette augmentation ?
Si l’on compare à 2019 pour avoir une vue avant Covid, les émissions du secteur des transports ont baissé d’environ 5%. C’est bien que cela baisse, mais c’est moins rapide que d’autres secteurs, par exemple sur la même période nous observons une baisse de 24 % pour l’usage des bâtiments, de 23 % pour les industries de l’énergie et de 18 % pour les industries manufacturières et de construction. Au total, les émissions françaises baissent de 429 tCO2e à 373 tCO2e. En relatif, la part des transports augmente et reste de loin le secteur le plus émetteur.
Cette description correspond aux chiffres que notre pays reporte aux Nation Unies dans le cadre de l’accord de Paris. S’ils sont totalement justes dans ce cadre, ils ne reflètent pas la réalité de notre société et de notre impact climatique réel.
Il manque deux choses pour connaître l’impact climatique réel.
Pour commencer, faites une expérience et prenez votre smartphone en main (je sais que vous en avez un), regardez attentivement le dos. Vous devriez vous devriez voir écrit en tout petit : « made in » ou « manufactured in » quelque chose. Et je parie que ce quelque chose, ce n’est pas la France.
Une fois fabriqué, votre smartphone n’est pas arrivé dans votre main depuis la Chine ou le Vietnam par magie, il ne s’est pas télétransporté. Il y a bien eu réellement un transport et la consommation d’énergie de ce transport, c’est ce que l’on appelle les soutes internationales.
Malheureusement ces soutes ne sont pas prises en compte dans l’accord de Paris, bien qu’elles soient une réalité, et bien qu’elles aient un impact climatique. Et les chiffres officiels du Citepa [1], repris par le Haut Conseil pour le Climat, ne reflètent pas cette réalité.
Dans le monde de l’accord de Paris, votre smartphone ressemblerait à ça (et c’est la classe).
On dirait un Socotel S23 qui était fabriqué à Colombes, Hauts-de-Seine.
Et ce qui marche pour le fret marche aussi pour les voyageurs.
Par exemple, prenons un vol Paris Orly – Pointe à Pitre (6751 km) : ses émissions de 1,026 tonnes de CO2e sont parfaitement comptabilisées dans le total national. Mais prenons maintenant un vol de Paris Charles de Gaulle à l’île de Saint-Martin (qui se trouve à 260 km de la Guadeloupe) : 6741 km pour 1,024 tonnes de CO2e, c’est donc quasi identique. Mais il s’agit maintenant d’un vol international (vous arrivez au royaume des Pays-Bas), et donc non comptabilisé dans l’accord de Paris. Les émissions ont disparu. Volatilisées !
Dans le monde de l’accord de Paris, il n’y a pas de passagers internationaux.
Île de Saint-Martin. Vous êtes presque arrivé à la plage et c’est zéro carbone. Merci la fresque de la mobilité pour l’info !
Dans le monde de l’accord de Paris, il n’y a pas de passagers internationaux. Et par exemple, aux jeux olympiques, Léon Marchand gagne ses 4 courses. Il les gagne car… il est tout seul dans le bassin : aucun compétiteur venu de l’étranger ! Avouez que la victoire est moins belle n’est-ce pas ?
Léon Marchand semble moyennement d’accord.
Le Citepa vient à notre secours pour y voir plus clair
Heureusement, le Citepa nous permet de réconcilier ce monde absurde avec la réalité que nous vivons. Les valeurs des émissions du transport à l’international sont calculées et disponibles à part.
C’est juste là.
Si on réintègre les soutes internationales (à chaque fois, la moitié des émissions est pour la France, et l’autre moitié pour le pays étranger), le secteur des transports passe de 34,0 % à 37,3 % des émissions du pays.
Alors, serions-nous en train de pinailler ? Creusons encore un peu le sujet !
Et les trainées ?
Quand on demande à un enfant : c’est quoi ça, dans le ciel ?
Il vous répond à tous les coups « c’est un avion » !
Le ciel des Rocheuses aux Etats-Unis
Et bien sûr que non ce n’est pas un avion. Un avion, c’est un quelque chose avec des ailes, des réacteurs et pleins de gens tous assis dans le sens de la marche, sauf le personnel bien sûr. Et qui avance vite.
Mais ce sont quand même des trainées de condensation persistantes créées par les avions. Les scientifiques nous disent que ces trainées ont un impact climatique très important. Ce qui fait débat, c’est l’ampleur de cet impact : est-il massif ou super massif ? C’est une question ardue car c’est une physique et une chimie très complexes avec plusieurs facteurs qui influencent positivement ou négativement le réchauffement climatique, dont la position géographique et l’altitude de l’avion. Les échelles de temps ne sont pas du tout les mêmes que pour les gaz à effet de serre (très courtes). De nombreux laboratoires de recherche travaillent sur la question, et la science est en train progresser dans la compréhension de ces phénomènes.
Est-ce beaucoup ? Le GIEC propose de multiplier par un facteur trois l’impact climatique, le gouvernement français, l’Union Européenne, l’ADEME ou Air France retiennent un facteur deux. En clair, de doubler les émissions du secteur aérien pour refléter l’impact climatique réel.
Certains s’offusquent de cette large imprécision et recommandent de ne rien prendre en compte tant que la question ne sera pas réglée.
Alors faisons une expérience, malheureusement virtuelle. Imaginons que votre chef adoré vienne vous voir et vous dise : « c’est sûr, on va t’augmenter, mais on ne sait pas encore si on va doubler ou tripler ton salaire ! ». Logiquement, malgré cette forte incertitude, vous êtes content n’est-ce pas ?
Auriez-vous l’idée de demander à votre chef de bien vouloir être un peu plus précis et tant qu’il n’aura pas travaillé un peu plus le sujet, vous refusez catégoriquement cette augmentation ?
Tout aussi logiquement, nous proposons de prendre en compte ces trainées de condensation, tout en rappelant les fortes incertitudes et en promettant de réviser les calculs dès que la science réduira la marge d’incertitude [2]. Comme l’ADEME, Air France, le gouvernement français ou l’Union Européenne, retenons pour l’instant un facteur 2. Et recalculons la part du secteur des transport dans l’impact climatique (nous parlons maintenant d’impact climatique plutôt que d’émissions de gaz à effet de serre puisque, par définition, les trainées de condensation ne sont pas gazeuses mais malgré tout réalisent un forçage radiatif et créent du réchauffement climatique).
Avec les soutes internationales et les trainées de condensation des avions, cela donne quoi ?
Part du secteur du transport dans l’impact climatique national en fonction du périmètre retenu. Citepa rapport Secten 2024 et retraitement fresque de la mobilité.
Le transport représente maintenant 40,5%
de l’impact climatique du pays !
Si on décompose par sous-secteurs :
Part des sous-secteurs transport dans l’impact climatique national en fonction du périmètre retenu. Citepa rapport Secten 2024 et retraitement fresque de la mobilité.
On voit que dans les chiffres utilisés pour l’accord de Paris, le secteur aérien ne pèse qu’un peu plus de 1% de l’impact climatique national (et environ 3,5% du secteur du transport). Mais en prenant en compte les échanges internationaux et les trainées de condensation persistantes des avions, on arrive à 10% de l’impact climatique national, et pratiquement un quart du secteur des transports.
Il ne s’agit pas ici de pointer du doigt un secteur en particulier – notons également la part très importante du secteur routier dans le total national – mais simplement de regarder avec lucidité la situation. Nous souhaitons éclairer décideurs et citoyens sur les ordres de grandeurs corrects et ne pas biaiser les prises de décision inévitables dans le contexte actuel d’urgence planétaire.
De plus il nous parait légitime d’apprécier à leur juste valeur les efforts réalisés par chaque secteur pour répondre à cette urgence.
[1] TOTAL national hors UTCATF
[2] C’est ce que dit l’ADEME dans la base empreinte (consultée en septembre 2024) : « Au regard de l’état actuel des connaissances identifiant clairement un impact non négligeable des effets non CO2 sur l’impact global de l’aviation, mais ne disposant pas à ce jour de méthodologie consolidée permettant d’appliquer un facteur multiplicateur par type de vol, l’ADEME propose – à titre conservateur – de continuer à utiliser un facteur multiplicateur égal à 2 pour l’ensemble des émissions de GES de l’aérien. Dit autrement, pour un kg équivalent CO2 dû au CO2 de la combustion, un kg équivalent CO2 sera rajouté pour tenir compte du reste. »
Sources :
– Haut Conseil pour le Climat – Rapport annuel 2024
– Citepa, 2024. Rapport Secten – Emissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques 1990-2023.
– GIEC : Jaramillo, P., S. Kahn Ribeiro, P. Newman, S. Dhar, O.E. Diemuodeke, T. Kajino, D.S. Lee, S.B. Nugroho, X. Ou, A. Hammer Strømman, J. Whitehead, 2022: Transport. In IPCC, 2022: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [P.R. Shukla, J. Skea, R. Slade, A. Al Khourdajie, R. van Diemen, D. McCollum, M. Pathak, S. Some, P. Vyas, R. Fradera, M. Belkacemi, A. Hasija, G. Lisboa, S. Luz, J. Malley, (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA. doi: 10.1017/9781009157926.012
– Commissariat général au développement durable, Service des données et études statistiques. Florian LEZEC, SDES. Fabien PEREZ, SDES. Corentin TREVIEN, SDES.
– Air France – site internet.